Tonnay-Charente (17) : expulsé de la maison de retraite, il se suicide

Publié le par Jean Luc Guerbois

Profitant d'un séjour à l'hôpital, la direction avait changé la serrure du studio de cet homme de 85 ans. S'en suivront trois semaines d'errances tragiques parmi des foyers pour SDF

 prétextant une mesure conservatoire, jamais le personnel de la maison de retraite ne lui rendra ses vêtements ni ses effets personnels (photo S.C.)

prétextant une mesure conservatoire, jamais le personnel de la maison de retraite ne lui rendra ses vêtements ni ses effets personnels (photo S.C.)

Alors bien sûr, Roger D. avait encore du caractère.  Et un gros caractère, même, si l’on en juge par le long bras de fer que ce vieil homme de 85 ans poursuivait avec le directeur de cette maison de retraite dont il jugeait les prestations indignes de sa facture. Voilà donc ce qui aura accéléré sa perte, provoqué sa déchéance, et finalement son suicide, le 16 octobre dernier à l‘ombre d‘un petit studio proche de la gare SNCF de Rochefort.

Quelques jours plus tôt, rentrant d’une lourde intervention chirurgicale à l’hôpital, le vieillard était brutalement mis au pied du mur et à la porte d'un logement dont la serrure avait entre temps été changée. Puisqu’il refuse de payer son loyer - alors qu'il en a les moyens - cette fois il doit quitter les lieux, le somme aussitôt le directeur des Résidentiels, cet établissement installé dans les faubourgs rochefortais de Tonnay-Charente (17). Au-delà d’un sens de l‘hospitalité pour le moins sévère, le procédé révèle surtout aujourd'hui une expulsion menée au mépris des lois et qui, selon nos informations, a depuis déclenché l’ouverture d’une enquête judiciaire.

Profondément blessé

A la rue, Roger D. est vite recueilli par une patrouille de police qui le conduit dans le foyer d’urgence pour SDF de Rochefort.  Élégant et beau parleur, l‘ancien commercial ne supporte pas ce qu’il considère comme une humiliation. "Il s’est senti profondément blessé, et il n’avait en effet rien à faire ici", raconte un membre de l'équipe d'accueil. "Dès le lendemain il a d’ailleurs préféré se payer une petite chambre d’hôtel plutôt que de rester mêlé aux marginaux. Sauf qu’il y a fait un malaise en pleine nuit, et que le patron, inquiet, nous l’a renvoyé."

Trois semaines d'une errance d’autant plus malheureuse que, prétextant une mesure conservatoire, jamais le personnel de la maison de retraite ne lui rendra ses vêtements ni ses effets personnels. Ironie d'un sort décidément bien triste, c'est le jour même de sa mort qu'un commando de travailleurs sociaux avaient prévu de les récupérer, de gré ou de force.

"Je quitte enfin ce monde"

Alerté et ému par le sort de ce grand-père allant et venant simplement vêtu d’une chemise et d’un pantalon de jogging, le centre d'action sociale  de la ville finira tout de même par lui trouver un petit studio. C’est ici, en avalant plusieurs boîtes de médicaments, que Roger D. met pourtant fin à ses jours au  lendemain de son arrivée. Sur la table, ce mot : "Aujourd’hui, j’ai 85 ans et neuf mois. Je quitte enfin ce monde."  La veille, parmi le véritable agenda de ministre dans lequel il consignait chacune de ses humeurs, le vieil homme qualifiait encore les Résidentiels de "couloir de la mort à supprimer" Une peine qu’il s’appliquera hélas à lui même quelques heures plus tard, et dans l’anonymat quasi général, un demi siècle après avoir rompu tout lien avec ses enfants.

S'il reconnait désormais n’avoir "pas fait que des choses tout à fait logiques», le directeur de la maison de retraite plaide malgré tout la négligence plus que la maltraitance. Joint hier par téléphone, Alain Brunet assure ne pas avoir jeté Roger D. à la rue." Nous lui avons d'abord proposé de nous payer deux ou trois nuits dans l'une de nos chambres en attendant qu'il régularise sa situation. Comme il a refusé, nous avons dû appeler la police et la gendarmerie. Et si nous n'avons pas vraiment respecté à la lettre la procédure d'expulsion, c'est uniquement par méconnaissance. Je suis vraiment désolé de ce qui est arrivé, ce n'était évidemment pas le but recherché."

Le procureur de la République pourrait malgré tout bientôt décider de le poursuivre pour "délaissement de personne".

Publié dans Société

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